Tenant une copie du journal devant moi, il m’a tout de suite suggéré la réponse que je lui donnerais à la question qu’il m’a posée :
“ Vous ne vous abonneriez pas au Post pour m’aider, n’est-ce pas?”
Bien sûr que j’ai dit non ! En réalité, il m’a aidé à refuser. Il n’y avait aucun enthousiasme derrière ses mots, et la mélancolie et le découragement s’affichaient sur son visage. Il voulait juste la commission qu’il aurait gagnée par mon abonnement si j’avais accepté, c’est évident, mais il ne m’avait rien suggéré qui aurait éveillé mon intérêt personnel. Par conséquent, il n’a pas conclu la vente.
Mais la perte de cette seule vente n’a pas été la plus triste de sa mésaventure. Le plus malheureux a été que cette même attitude lui a fait perdre toutes les autres ventes qu’il aurait pu conclure s’il avait changé son approche.
Comment une vendeuse talentueuse a-t-elle fait pour neutraliser mon esprit ?
Quelques semaines plus tard, une autre vendeuse d’abonnement m’a abordé. Elle vendait une collection de 6 journaux, dont l’un était le Saturday Evening Post, mais combien différente a été son approche ! Elle a jeté un coup d’œil à ma table de travail où j’ai posé quelques journaux, puis à ma bibliothèque, et elle s’est exclamée avec enthousiasme : “Ah, je vois que vous aimez les livres et les journaux.”
J’ai fièrement plaidé coupable à son “accusation”. Remarquez le mot “fièrement”, car il joue un rôle important dans cet évènement. J’ai posé à côté le manuscrit que je lisais quand cette vendeuse est entrée, car j’avais tout de suite remarqué qu’elle était une femme intelligente. Comment j’étais arrivé à avoir cette conclusion ? Je vous laisse deviner. L’important c’est d’avoir posé le manuscrit à côté et j’avais éprouvé le vif désir d’écouter ce qu’elle avait à dire.
Par ces 11 mots, avec un sourire aimable, et un ton vraiment enthousiaste, elle a suffisamment rendu neutre mon esprit pour me donner envie de l’écouter. Elle a réussi la tâche la plus difficile avec ces quelques mots, parce que si j’avais décidé de garder le manuscrit dans mes mains quand elle est arrivée, ç’aurait été comme lui signifier, même le plus courtoisement possible, que j’étais occupé et que je ne voulais pas être interrompu.
Comme j’étudiais moi-même l’art de la vente et de la suggestion, je guettais attentivement ses gestes. Elle avait une pile de journaux sous le bras et je m’attendais à ce qu’elle la déroulait sous mes yeux et allait commencer à me convaincre à les acheter, mais ce ne fut pas le cas. Rappelez-vous qu’elle vendait une collection de 6 journaux, mais qu’elle n’essayait pas de les vendre.
Elle se dirigea vers ma bibliothèque, en sortit une copie du recueil d’essais d’Emerson, et pendant 10 bonnes minutes elle parla de l’essai d’Emerson sur la Compensation d’une manière si intéressante que j’ai perdu de vue la pile de journaux qu’elle portait. (Elle continuait à rendre mon esprit neutre.)
Elle m’a procuré, sans vraiment le vouloir, de nombreuses nouvelles idées sur l’œuvre d’Emerson qui pourraient être utilisées comme des données nécessaires à un excellent éditorial.
Elle me demanda ensuite quels journaux je recevais régulièrement, et après lui avoir répondu, elle souriait et commença à dérouler la pile de journaux et les étaler sur la table devant moi.
Elle analysa un par un les journaux, et m’expliqua pourquoi je devrais avoir chacun d’entre eux :
Le Saturday Evening Post m’apporterait la fiction la plus pure ; Literary Digest m’informerait en résumé les nouvelles du monde, tout comme aurait besoin un homme aussi occupé que moi ; American Magazine m’apporterait les plus récentes biographies des personnes leaders dans les affaires et l’industrie, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle ait fini la liste de tous les journaux.
Mais ma réponse à son argument n’était pas aussi libre comme elle l’avait espéré, et elle laissa échapper cette gentille suggestion :
“Un homme de votre position a l’obligation d’être bien informé et, s’il ne l’est pas, cela se verra dans son travail!”
Elle a dit la vérité ! Sa remarque était en même temps un compliment et aussi une gentille réprimande. Je me sentais un peu penaud parce qu’elle a fait l’inventaire de mes lectures – et 6 des principaux journaux n’étaient pas dans ma liste (les 6 qu’elle vendait, précisément.)
Puis j’ai essayé de me “dérober” en lui demandant le coût des 6 journaux. Elle est arrivée à la phase finale d’une bonne discussion commerciale en répondant avec tact : “Le coût ? Eh bien, le coût des 6 journaux est moindre par rapport à ce que vous percevez pour une seule page du manuscrit qui était dans vos mains quand je suis arrivée.”
Elle a de nouveau dit la vérité. Et comment a-t-elle pu deviner combien je gagnais pour mon manuscrit ? La réponse est qu’elle ne l’a pas deviné – elle le savait ! Elle s’est chargée de me faire parler avec tact de la nature de mon travail (ce qui ne m’a pas du toutmis en colère). Elle a commencé par s’intéresser au manuscrit que j’ai mis de côté quand elle était entrée qu’elle m’a poussé à en parler maintenant. (Je veux dire, bien sûr, que cela n’a pas demandé beaucoup d’habileté car je ne lui ai pas dit qu’il s’agissait de mon manuscrit).
Dans mes remarques concernant le manuscrit, je crois que j’ai reconnu recevoir 2.500 € pour 15 pages : oui, je suis sûr que j’étais assez négligent de reconnaître que j’étais bien payé pour mon travail.
Elle m’a peut-être persuadé de reconnaître ce fait. De toute façon, l’information lui a été précieuse et elle l’a utilisée efficacement au moment psychologique opportun.
Tout ce que je sais c’est que cela a fait partie de son plan d’observer attentivement tout ce qu’elle voyait et entendait afin d’apprendre mes faiblesses et ce qui m’intéressait le plus dans les discussions. Certains commerciaux mettent du temps à le faire, d’autres non. Elle faisait partie des premiers.
Oui, elle était partie avec ma commande de 6 journaux et mes 120 euros évidemment. Mais ce ne fut pas son seul bénéfice issu de la suggestion pleine de tact et d’enthousiasme qu’elle a utilisée ; elle a également reçu mon accord pour prospecter au bureau, et avant de partir, elle a remporté 5 autres commandes de mes employés.
Pendant sa visite, elle n’a pas laissé l’impression que je lui ai rendu service en achetant ses journaux. Au contraire, elle m’a donné réellement le sentiment que c’était elle qui m’a rendu service. C’était une suggestion pleine de tact.
Avant d’aller plus loin, je veux faire un aveu : quand elle m’a entraîné dans la conversation, elle l’a fait d’une telle manière qu’elle m’a convaincu de parler avec enthousiasme. Il y avait 2 raisons à cela : elle était l’une des 2, et l’autre était le fait qu’elle a réussi à me faire parler de mon propre travail !
Bien sûr, je ne dirai pas que vous devriez fourrer votre nez partout et rire de mes négligences quand vous lisez cela, ou que vous devriez conclure que cette vendeuse pleine de tact a réussi à me faire parler de mon propre travail pour rendre mon esprit neutre afin que je puisse l’écouter lorsqu’elle serait prête à parler de ses journaux aussi patiemment qu’elle m’a écouté. Pourtant, si vous êtes assez intelligent pour tirer une leçon de sa méthode, je ne peux pas du tout vous en empêcher.
Comme je l’ai mentionné, lorsque je parlais, je mêlais l’enthousiasme à ma conversation. J’ai peut-être acquis la notion d’enthousiasme avec cette intelligente vendeuse, quand elle a fait cette première remarque lorsqu’elle est entrée dans mon bureau.
Oui, je suis sûr que c’était à ce moment-là que je l’ai acquis et, je suis tout aussi sûr que son enthousiasme n’a pas été un hasard. Elle a appris à trouver quelque chose dans le bureau de son futur client – ou dans son travail ou dans sa conversation – qui lui permettait d’exprimer son enthousiasme.
N’oubliez pas que suggestion et enthousiasme vont de pair !
Je me rappelle, comme si c’était hier, le sentiment que j’ai eu quand le soi-disant vendeur a poussé le Saturday Evening Post devant moi en disant : “Vous ne vous abonneriez pas au Post pour m’aider, n’est-ce pas ?”
Ses mots étaient froids, sans vie, manquaient d’enthousiasme. Ces mots ont laissé une impression glaciale dans mon esprit. Je voulais voir l’homme sortir par la porte où il était entré. Attention, je ne suis pas de nature antipathique, mais le ton de sa voix, l’expression de son visage, son allure générale suggéraient qu’il était là pour demander une faveur et non pour en offrir.
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